La situation économique et politique entre les deux guerres mondiales a conduit, dans un premier temps, à un ralentissement des réformes. L’opposition du patronat, le développement de la parité et le Front populaire ont façonné la naissance de la médecine du travail.
La fin du XIXème siècle, avec la naissance du salariat, et la Première Guerre mondiale (1914-1918) ont préparé la lente mise en place des maladies professionnelles et la naissance de la médecine du travail qui se poursuivra sous le régime de Vichy.
Les difficultés de l’après-guerre
La loi sur les maladies professionnelles est enfin adoptée par le sénat en 1919, mais n’entre en vigueur qu’en 1921 pour le plomb et le mercure seulement et de façon limitée. Il n’y a toujours que 5 cas de maladies professionnelles au mercure en 1925. En 1931 seulement, de nouvelles maladies deviennent indemnisables. Une extension est pourtant demandée tout au long des années folles comme la gale du ciment, l’eczéma du plâtre ou le cancer du goudron par la Fédération nationale des travailleurs du bâtiment.
Le patronat ne se limite pas à une opposition systématique : il compose avec l’Etat pour aménager et anticiper la législation. La Confédération générale de la production française (CGPF) souhaite faire contribuer le médecin d’usine au “rendement idéal” et mettre en place une médecine “d’élimination à l’embauchage” . Une intense rotation du personnel des industries dans la deuxième moitié des années 20 conduit à voir la médecine en milieu professionnel comme un complément aux “oeuvres sociales” . La notion de facteur humain se développe avec le taylorisme et conduit à renvoyer la médecine du travail à un rôle de sélection. Certains employeurs s’en servent pour recruter des invalides ou exclure les ouvriers jugés intelligents considérant que “l’homme le plus stupide est l’ouvrier le plus stable et le plus satisfait de son sort” .
Malgré une législation favorable aux blessés de guerre en 1924, les employeurs français préfèrent un main d’oeuvre coloniale ou étrangère, plus malléable. Un contrôle sanitaire des immigrants est mis en place. Les étrangers sont nombreux dans les travaux insalubres ou dangereux. Dans les colonies, la prévention est médiocre. Beaucoup de Maghrébins sont renvoyés avant que “leur rendement ne diminue trop ou que leur état ne fasse craindre des frais” , en particulier du fait de la tuberculose.
A partir de 1931, le flux d’immigration est stoppé et s’inverse. Les contrôles sanitaires deviennent de plus en plus stricts. Une visite médicale au consulat de France du pays d’origine par un médecin accrédité, puis un livret sanitaire mentionnant les maladies et les traitements, sont obligatoires.
La naissance de la médecine du travail
Sous la pression des organismes internationaux, le paritarisme émerge progressivement. Le terme de médecine du travail apparait pour désigner la médecine en milieu professionnel dans son ensemble. En 1927, un décret prévoit la déclaration d’une liste de maladies professionnelles non indemnisables.
La question de la définition de la maladie professionnelle oppose la CGT qui défend une acception large : “Toute lésion anatomique, tout trouble fonctionnel ou physiologique, toute dégradation ou déformation organique, résultant de l’exercice d’une profession susceptible de la provoquer” , au patronat qui nie la possibilité d’établir scientifiquement, sans risque d’erreur, l’origine professionnelle des pathologies. Les médecins aspirent à arbitrer ce débat. La Commission internationale permanente pour l’étude des maladies professionnelles organise une conférence à Lyon en 1929 avec l’aide d’Albert Thomas, directeur du BIT à Genève et d’Etienne Martin, professeur de médecine légale à Lyon.
La silicose, qui est reconnue comme maladie professionnelle en Angleterre et en Allemagne depuis 1927, est décrite comme une tuberculose modifiée par la silice, par les médecins français du Comité des houillères, qui nieront systématiquement son origine professionnelle jusqu’en 1945. Il existe un lien étroit entre paritarisme et reconnaissance des maladies professionnelles. L’entrée de représentant des syndicats ouvriers à la Commission d’hygiène industrielle (CHI) et à la Commission supérieure de maladies professionnelles (CSMP) permet l’élargissement de la liste des maladies professionnelles en 1931.
Des enseignements de médecine du travail sont créés à Lille en 1934 par le Pr Leclercq et à Lyon par le Pr Martin, le Pr Balthazard et le Dr Mazel. Le premier congrès de langue française en médecine du travail se tient en juin 1930 à Liège. L’institut d’hygiène industrielle (IHI) de Paris forme des médecins d’usine de 1934 à 1939 qui seront actifs jusqu’aux années 60. René Barthe, Henri Desoille et Guy Hausser seront parmi les premiers membres de la Société médicale des hygiénistes du travail et de l’industrie (SMHTI) qui regroupe l’élite de la profession.
Les mutations de l’avant-guerre
Pendant les grèves de 1936, des enquêtes sanitaires dans les usines dénoncent leur insalubrité. Guy Hausser, né en 1912, soutient sa thèse avec Balthazard en 1936 et est chargé par le ministère d’une mission sur l’organisation de la médecine du travail en URSS. Il va pousser la CGT à la prévention médicale :
- Rencontres nationales avec les ténors de la spécialité ;
- Création de l’Institut d’étude et de prévention des maladies professionnelles en 1937 ;
- Commission des maladies professionnelles de la CGT qui sera à l’origine de la revue Archives des maladies professionnelles.
Il va aussi participer à la querelle du lait, en demandant que les sommes allouées pour les distributions de lait dans les usines soient utilisées pour le dépistage des intoxications par le plomb, le benzol et les poussières. Le patronat y sera farouchement opposé.
Tandis que le ministère du travail et la CGT attribuent le faible nombre de maladies professionnelles déclarées au manque de personnels et de crédits, le patronat considère que “les atteintes à la santé des travailleurs sont assez rares et relèvent plutôt d’accidents fortuits que de maladies contractées au cours du processus normal de fabrication” .
Les grèves de 1936 ont convaincu le patronat que les usines dotées d’un service social sont moins exposées à des grèves dures. De plus, les ouvriers réclament des “délégués ouvriers spéciaux à l’hygiène, à la sécurité et à la salubrité” accompagnés de conseillers compétents (médecins, techniciens, juristes).
Le Front populaire crée en 1937 des médecins-conseils de l’inspection du travail autorisés à enquêter sur une usine suspectée d’insalubrité.
Les médecins libéraux craignent la concurrence des médecins d’usine. Pourtant, la plupart des établissements se contentent d’une infirmerie avec un médecin qui consulte 1 ou 2 heures par semaine. Pour combiner la conception patronale de visite “de sélection et au besoin d’orientation” , et la demande ouvrière de “dépistage des maladies professionnelles” , les médecins du travail aspirent à “contrôler l’hygiène et la salubrité industrielle, à organiser la médecine préventive, à dresser des statistiques sanitaires et sociales, à s’occuper des arrêts de travail et des mutations ainsi que des congés et des sports” .