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Le taylorisme

L’organisation scientifique du travail prônée par Taylor, appelée taylorisme a connu un succès considérable dans le monde depuis la fin du XIXème siècle. Cependant, les solutions qu’elle proposent comportent une part d’arbitraire et ont une application réelle assez limitée.

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L’expression “organisation du travail” est due à Louis Blanc (1811-1882) et désigne un cadre normatif qui régule les relations entre travail et capital, qui est destiné à se substituer à l’anarchie libérale.

Un système de pensée

Les grandes entreprises industrielles se développent en Europe et aux Etats-Unis dans les années 1870-1880 (deuxième révolution industrielle).

Le chemin de fer, pour se développer, a besoin de dépasser les formes traditionnelles de gestion de main d’oeuvre (marchandage, autorité familiale ou clanique, salaire aux pièces). C’est la naissance du salariat. Il faut une structure hiérarchique qui surveille l’exécution individuelle du travail, organise la promotion dans l’entreprise et réparti la masse salariale selon un barème donné.

La question du travail, qui était sociale au XIXème siècle, devient en partie technique. L’étude naturaliste du travail et les progrès de la physiologie débouche sur l’application d’une norme scientifique.

Frederick Winslow Taylor (1856-1915) développe l’idée de conduire les ouvriers à atteindre un niveau déterminé de production, fixé par l’organisateur, à partir d’une étude scientifique des temps opératoires requis.

Les patrons, ne connaissant pas les temps de production requis, incitent par l’attrait financier les ouvriers à augmenter leur rythme de travail. Mais, par la suite, il devront baisser le prix de la pièce pour ramener le salaire horaire à la norme en vigueur. Les travailleurs pratiquent alors une nonchalance systématique.

Travailleurs et employeurs sont en opposition sur le partage de la richesse produite. Mais les deux ont intérêt à son augmentation s’ils sont certains de pouvoir en profiter. Taylor installe donc une autorité supérieure pour sortir de ce marchandage : l’expert en organisation qui fixe les droits et obligations de chacun au profit de l’intérêt collectif. Le bureau des méthodes est chargé d’établir pour chaque opération une norme de temps, par chronométrage systématique d’ouvriers d’élite, choisis et incités au travail. c’est la loyale journée de travail.

Les Gilbreth, disciples de Taylor, développèrent des techniques d’enregistrement cinématographique du travail. On obtient ainsi une décomposition chronométrique de la norme de fatigue journalière. On peut donc comparer et additionner des séquences opératoire qualitativement différentes. C’est ce qu’on appelle équilibrer le travail, en répartissant de façon un peu arbitraire, le travail entre les postes.

La répartition des gains de productivité, en revanche, est plus ambiguë. Taylor conclut que les ouvriers doivent être augmentés de 30 à 100% par rapport à la moyenne de leur catégorie, sans justification objective.

Les critiques du taylorisme

Henri Fayol (1841-1925) conçoit un système hiérarchique de l’organisation sur le principe de l’ “unité de commandement” en vigueur dans l’armée et invente l’organigramme. Le taylorisme ne donne pas le pouvoir au chef, mais à la science, supposée unique et impersonnelle. Le fayolisme réhabilite la figure du chef-père, qui hante la tradition patronale française.

En 1926, les ingénieurs-conseils fayoliens et tayloriens fusionnent, ce qui clôt le débat. A l’inverse du taylorisme, qui pense l’usine comme une grande machine, le fayolisme est attentif aux jeux de pouvoir et à l’art psychologique du commandement.

L’absence chez Taylor de toute référence à l’étude scientifique du travail risque d’aboutir à une sélection sauvage de la main d’oeuvre et à un surmenage. Ce n’est pas le projet de normalisation scientifique des rapports de travail qui est critiqué par les psychophysiologistes, mais la faiblesse de ses bases scientifiques.

Dans le modèle de Taylor, le rendement industriel dépend exclusivement de l’intensification du travail humain, source exclusive de toute production. Elle est dépassée dès lors que l’homme n’est plus mobilisé pour ses ressources proprement énergétique. C’est l’exemple du conducteur de tramways, qui conduira à la naissance de l’ergonomie cognitive.

Quand le matériau traité est cher, l’attention doit plus porter sur les pertes en matières qu’en temps humain. Le travail doit être traité sous l’angle qualitatif et non quantitatif. Mais, de plus, le travail machinisé devient machinisable et donc la meilleure manière de réduire le coût salarial n’est pas d’augmenter le rythme de travail de l’activité humaine, mais de remplacer l’homme par la machine.

Emile Belot (1857-1944) prend le contre-pied de la conception additive de Taylor : le principe de continuité. Chaque fois qu’il y aura une discontinuité dans la vitesse de circulation des matières mises en oeuvre, il y aura diminution dans le rendement industriel de la machine de l’ensemble mécanique considéré, et cette diminution sera proportionnelle à la variation de vitesse. Ce modèle s’est généralisé dans les activités industrielles et tertiaires, y compris dans le travail à la chaîne.

Un succès paradoxal

Le déclenchement de la guerre en 1914 impose la mise au travail industriel des femmes, sans qualifications ouvrières. Or, c’est bien à ce type de population que s’appliquent le mieux les méthodes tayloriennes.

L’introduction du chronométrage aux usines Renault en 1931 provoqua une grève qui mit le taylorisme au centre du débat social.

Le taylorisme est un mode d’organisation fondé sur une conception additive de la production, un découpage analytique des tâches et une bureaucratisation généralisée des procédures.

Un tel mode d’organisation ne peut s’appliquer réellement qu’à de très grandes entreprises et la majeure partie du tissu productif est resté en dehors de son champ de pertinence. L’application au travail tertiaire est restée très limitée.

Le taylorisme est une solution organisationnelle pour assurer, dans l’urgence, une croissance rapide de la production. L’intensification et la machinisation du travail humain constituent, dans ce cadre, des substituts à une véritable solution machinique. D’où le succès du taylorisme en période de guerre ou de reconstruction.

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